Novembre 1998
Depuis mi-octobre, je suis le fraichement nommé "chef de projet du bogue de l'an 2000". L'entreprise détient alors 14 usines (Chine, Singapour, Mexique, Etats-Unis, France, Angleterre, Allemagne), 5 ou 6000 employés, environ 2000 fournisseurs, des milliers de clients, des dizaines de milliers de machines, d'ordinateurs, de logiciels, des centaines de produits. Tout cela, je ne le sais pas encore dans le détail - l'inventaire sera terminé début janvier 1999 et fera plusieurs dizaines de milliers de lignes...
Pour ce qui concerne la vérification du bogue de l'an 2000, rien n'a été fait, à part une énorme bétise : des centaines de courriers sont partis chez des clients pour dire que tout va bien pour nous, merci...
Conformément à mon engagement au Directeur Général de l'époque, je me présente mi novembre au comité de direction pour présenter mon plan. J'ai alors une mini-équipe de 2 ou 3 personnes pour m'aider. Mon plan prévoit de passer à 20 personnes avant un mois, je sais que j'ai devant moi un comité de direction totalement sceptique. "Le bogue, quel bogue, une farce de journaliste, explique-moi le problème" m'avait lancé le DG quelques jours avant, et j'avais du batailler avec lui sur des considérations techniques, hors de propos de mon point de vue.
Une demi-heure pour convaincre. Un défi que qui ennuie tout le monde dans l'entreprise et au comité de direction. Un contre la montre terrible - il reste 13 mois. Une absence se sponsoring au plus haut niveau. Dois-je prendre le risque sur mes épaules ? Dois-je assumer avec mes petits bras devant les clients, les actionnaires, les assureurs, les fournisseurs, les autorités qui tous commencent à faire monter la pression ? Dois-je y perdre ma santé (mes nuits sont alors très courtes) ?
Je prends le parti de renvoyer la responsabilité là où elle est.
Dès le début de la réunion (une dizaine de participants), je lance : "je connais votre avis sur le bogue de l'an 2000. Avant de vous présenter mon plan, je voudrais que vous passiez 2 minutes à lire les points que j'ai surlignés dans la revue de presse que j'ai déposée devant chacun d'entre vous. Vous lirez les 60 pages avant de vous coucher ce soir, mais je vous propose de ne lire que ce que j'ai surligné, ça vous prendra 2 minutes."
Silence et lecture. Bien entendu, je n'ai surligné que les éléments qui insistent sur la responsabilité personnelle du chef d'entreprise : celui-ci sera en première ligne s'il ne met pas en oeuvre tous les moyens pour analyser et corriger le bogue, où qu'il se trouve.
Aucune discussion technique ce jour-là en comité de direction. Je présente mon plan, il est approuvé, après une bonne discussion de management sur les risques et les mesures à prendre.
Souvent le chef de projet commet l'erreur d'endosser l'ensemble de la responsabilité de son projet, alors que son rôle est d'assumer la mise en oeuvre. Comment réussir un projet sans les moyens ? Qui détient les moyens ?